À SERY, on s’est dit que le projet Nous sommes Granby, inauguré en mai dernier sur la passerelle citoyenne du lac Boivin, était un bon prétexte pour s’intéresser aux immigrants mis en lumière à travers les jolis portraits d’Atelier 19 qui ornent cette traversée. Alors on a lancé quelques hameçons, avec la volonté d’en savoir plus sur ces personnes inspirantes. Plusieurs d’entre elles ont répondu à notre invitation, ravies de pouvoir nous partager un lopin de leur histoire. Le 6e épisode de cette série estivale met en lumière Mélissa Delafosse.
La jeune femme de 17 ans est Québécoise. C’est plus qu’une terre d’accueil : une terre de naissance. Mélissa est à la fois le fruit d’un amour entre deux êtres et le reflet d’un métissage qui a façonné l’histoire du Québec. Le jour de notre rencontre, elle est d’ailleurs venue avec son père. Car l’immigré, c’est surtout lui. Arrivé de Côte d’Ivoire en 1998, Maurice Jacques André a uni sa vie à une Québécoise qui lui a donné deux enfants, un garçon et une fille. Après une formation en informatique et en nanorobotique, il est devenu ingénieur. Aujourd’hui, cet homme à la voix posée et à la diction soignée mène en parallèle une carrière d’enseignant au Cégep de Granby et d’entrepreneur. On l’aura compris : l’intégration n’est plus un but, elle coule dans ses veines. « Ce que j’ai apprécié ici (au Québec), c’est qu’on m’a laissé faire ma place. »
Entre Mélissa et son père, il existe une réelle complicité et un profond respect. Ça se voit comme le nez au milieu du visage. Ces deux-là ne partagent pas seulement la silhouette élancée de joueurs de basket (qu’ils ne sont pas). Ils ont en commun la même vision de l’épanouissement personnel, loin des carcans et autres contraintes dictés par la société. Le papa n’est pas du genre à imposer ses visions, et encore moins à pousser sa progéniture vers un métier cliché ou qui la mettrait facilement à l’abri. « Je veux juste qu’elle se sente bien dans ce qu’elle fait. »
L’APPUI DE LA FAMILLE
Mélissa a justement une idée précise de ce qu’elle veut faire plus tard. Actuellement en première année à l’École de théâtre de Saint-Hyacinthe, elle envisage d’épouser le métier de comédienne. « Je veux faire des films, que ce soit devant ou derrière la caméra. »
C’est tout sauf une lubie. Le choix a été mûrement réfléchi. Aux dires de son père, et d’après des commentaires glanés ici et là dans leur entourage, le talent est là. Sa conjointe et lui sont les premiers à encourager leur fille, avec tout ce qu’il faut de conseils en réserve pour ne pas brûler les étapes qui la mèneront vers son rêve. « Le métier de comédienne ne doit pas être négligé, et pour y parvenir elle devra faire beaucoup d’efforts. Mais si elle fait les choses correctement, nous la supporterons toujours », insiste Maurice Jacques André.
COMBATTRE LES CLICHÉS
Très impliquée dans ses études, Mélissa l’est autant dans le milieu scolaire, où elle a la réputation d’être volontaire, que ce soit par exemple dans le bénévolat ou dans l’amélioration de la vie étudiante. Cette énergie débordante et inspirante qu’il faut parfois canaliser, dixit son père, n’est pas étrangère à la présence de son portrait sur la passerelle citoyenne de Granby.
Parmi les sujets qui la touchent et alimentent ses discussions, elle cite la discrimination et le racisme, dont elle dit avoir déjà souffert. Sa naissance au Québec n’a pas suffi à endiguer les clichés envers sa couleur de peau. « J’ai parfois encore le sentiment de devoir faire mes preuves », admet-elle.
Il y a quelques années, un évènement a changé sa vie. « Notre père nous a emmenés en Côte d’Ivoire. » Au contact de sa tante et de ses cousines, mais aussi d’une autre culture, elle dit avoir découvert une autre partie d’elle-même, comme si jusqu’alors elle avait été incomplète. En grandissant, Mélissa a appris à accepter sa duplicité, et même à la revendiquer. Un témoignage de sa richesse et non un obstacle à son avenir.