À SERY, on s’est dit que le projet Nous sommes Granby, inauguré en mai dernier sur la passerelle citoyenne du lac Boivin, était un bon prétexte pour s’intéresser aux immigrants mis en lumière à travers les jolis portraits d’Atelier 19 qui ornent cette traversée. Alors on a lancé quelques hameçons, avec la volonté d’en savoir plus sur ces personnes inspirantes. Plusieurs d’entre elles ont répondu à notre invitation, ravies de pouvoir nous partager un lopin de leur histoire. On commence cette série estivale avec Kateryna Semybratova.
Le jour de notre rencontre, Kateryna est venue avec sa fille Liza, au cas où son français balbutiant ait besoin d’une béquille linguistique. Il n’en fut rien. Les cours de francisation enchaînés au Cégep de Granby ont visiblement porté leurs fruits.
Il faut dire que chez cette mère de deux enfants, les langues étrangères n’ont jamais été un obstacle insurmontable. Dans son pays natal, elle enseignait l’anglais. Du français si cher aux Québécois, elle n’avait conservé que quelques lointains rudiments, appris à une époque où elle était à l’université. Quand il a fallu réapprendre la langue de Molière, elle n’a pas hésité une seconde, consciente que pour s’acclimater et s’intégrer dans son nouvel environnement, il fallait en maîtriser la trame verbale, qui plus est dans un coin d’Amérique du Nord où le français est bien plus qu’une lubie : une question de survie.
Je suis une linguiste. Pour moi c’est naturel de parler la langue des gens du pays où je suis.
Pour lire l’article sur l’inauguration de la passerelle de la diversité
METTRE SES ENFANTS À L’ABRI
Kateryna est ukrainienne. Cette origine laisse planer un sous-entendu que le contexte actuel incruste dans le marbre d’une réalité bien lourde à porter. Son arrivée au Canada est le fruit d’une guerre que son peuple n’a pas semée. Comme tant de ses compatriotes, elle a décidé de fuir la terre de ses ancêtres, et plus précisément la ville de Kharkiv, le cœur en charpie, avec pour seule motivation la viscérale volonté de mettre ses deux enfants (Liza et Sasha) à l’abri. Son mari, qui dirigeait une grande entreprise touristique avant le début du conflit, est resté en Ukraine, où il continue de travailler malgré quelques incursions en terre québécoise.
La nouvelle vie de Kateryna et des siens a débuté à Montréal le 14 mai 2022. Une première étape avant d’atterrir à Granby, que le hasard a mis sur leur route. Sur place, la solidarité les a accueillis à bras ouverts, à l’image de cette dame qui leur a trouvé un toit temporaire à Shefford, ou de ce couple d’enseignants retraités qui a donné des cours de français à sa descendance. Kateryna a aussi pu compter sur le soutien de la communauté ukrainienne établie à Granby. La résilience et le courage ont fait le reste.
Aujourd’hui, elle s’est trouvée un appartement, mais aussi un métier. Femme de ménage dans un hôtel de la ville, Kateryna continue de pratiquer son anglais en assistant des professeurs à l’Académie des langues de Granby. Il lui arrive aussi de prêter main-forte à SERY à titre d’interprète.
VIRÉE XXL
Concernant son futur, elle reconnaît un certain flou. Rester pour toujours au Québec ou repartir un jour en Ukraine ? « C’est une discussion que l’on a souvent avec mon mari. On ne peut pas prévoir quel sera notre avenir. »
En attendant, c’est vers un projet enthousiasmant que la petite famille a le regard tourné. « Le 24 juin, on va quitter le Québec pour un grand voyage de deux mois aux États-Unis et dans l’ouest canadien », révèle Kateryna, impatiente de vivre cette virée avec ses proches. Après ça, il sera temps de renouer avec sa routine à Granby, qu’elle préfère à Montréal. « Je la trouve moins impersonnelle, et puis il y a beaucoup moins de trafic et de bruit! » A ses côtés, sa fille grimace. « Elle n’est pas d’accord. Elle préfère le béton et les villes plus grosses », sourit sa maman.
Qui sait si un jour Liza partira faire sa vie dans la métropole ? Mais là encore, l’avenir le dira. Pour des Ukrainiens suspendus à une guerre dont ils ignorent tout de l’issue, seul le moment présent compte.