Une passerelle vers l’humain (3)

À SERY, on s’est dit que le projet Nous sommes Granby, inauguré en mai dernier sur la passerelle citoyenne du lac Boivin, était un bon prétexte pour s’intéresser aux immigrants mis en lumière à travers les jolis portraits d’Atelier 19 qui ornent cette traversée. Alors on a lancé quelques hameçons, avec la volonté d’en savoir plus sur ces personnes inspirantes. Plusieurs d’entre elles ont répondu à notre invitation, ravies de pouvoir nous partager un lopin de leur histoire. On poursuit cette série estivale avec Edem Amegbo.

Il parle vite, Edem. Il parle comme un passionné. La couleur de sa peau n’évoque pas seulement son Togo natal. Elle reflète aussi la terre qui l’a fait grandir intérieurement et professionnellement, celle où il cultive son jardin. Le jardin dont on parle, c’est le Jardin d’Edem, bien connu dans la région. Notre interlocuteur appartient à cette catégorie de personnes pour qui le rêve n’était pas une utopie. Le sien était de produire des légumes bio.

C’est à East Farnham qu’il se nourrit de la nature en prenant soin de nourrir les autres à la sueur de son front, mais aussi celle de la petite équipe qui lui prête main-forte durant l’été. Son territoire s’étend sur 4 acres.

Edem doit sa présence sur la passerelle citoyenne de Granby à notre collègue et son compatriote Francis Komedza, qui l’a référé pour le projet Nous sommes Granby, porté par l’Atelier 19.

L’APPEL DE LA TERRE

Edem et l’agriculture, ça s’est dessiné lentement mais sûrement. Arrivé au Québec en 2002, il est d’abord passé par Sherbrooke, où il a étudié l’électronique. « J’ai travaillé trois ans dans ce secteur, et 10 ans comme technicien dans une usine », raconte ce père de famille. A l’époque, il avait envisagé de devenir ingénieur, et avait même repris le chemin de l’école pour y parvenir. Il n’est jamais allé au bout de ce chemin.

L’appel de la terre, comme il dit, était devenu trop pressant. Dans la maison familiale, son jardin prenait de l’ampleur année après année. « C’était ma passion. » En 2015, il s’est jeté à l’eau, après 3 ans de préparation, en créant sa propre entreprise, les mains dans le cambouis végétal et le cœur débordant du carburant de la passion.

FAIRE DES ÉMULES

Au Jardin d’Edem, les légumes sont devenus le symbole du mélange et de l’intégration. Son propriétaire y a semé quelques variétés du continent qui l’a vu naître comme l’okra et l’épinard africain. Quand on lui fait remarquer que l’exemple donné par les végétaux est beau, il acquiesce en souriant. « Même le légume africain a fini par s’adapter à la terre québécoise. » Sa production fait le bonheur d’une clientèle variée – mélange de Québécois purs laine et d’immigrants – qui achète ses paniers au nom de la consommation locale.

A East-Farnham, Edem Amegbo s’est bâti un monde vert où le bio dicte sa loi. Un monde dans lequel ce Togolais d’origine se sent épanoui et en totale harmonie.

En prenant du recul, Edem Amegbo pose un regard empli de gratitude sur ses (bientôt) 22 ans passés dans la Belle Province. « Je suis fier d’avoir réussi et d’avoir fait ma place ailleurs. » Aujourd’hui, il n’est pas rare que de jeunes Africains le contactent pour des conseils, bien décidés à suivre le sillon qu’il a tracé. « Je reçois de plus en plus d’appels, ça prouve que mon travail a porté ses fruits. Si je peux servir d’exemple, alors tant mieux. »

LE CORDON FAMILIAL

Enraciné dans les Cantons-de-l’Est, Edem a développé un fort sentiment d’appartenance envers sa terre d’adoption, au point où le Togo est devenu un lieu de vacances, chacun de ses voyages dans ce pays d’Afrique de l’Ouest étant prétexte à aller voir sa mère. S’il vante l’ouverture d’esprit québécois, l’exploitant agricole reconnaît que sa famille est une source de manque. « C’est un prix cher à payer quand on part s’installer dans un autre pays. Je sais que je ne pourrai pas rattraper les années perdues, mais en même temps je suis bien ici », confie-t-il. Comme celles qu’ils auraient pu passer avec son père, dont la disparition il y a quatre ans lui a labouré le cœur.

S’il avait un conseil à donner aux nouveaux arrivants, ce serait de faire preuve d’ouverture d’esprit. « Quand on vient d’ailleurs, on a souvent la nostalgie de là où l’on vient. Moi j’ai eu la chance de vivre dans des résidences d’étudiants lorsque j’étais au cégep; ça m’a beaucoup aidé et facilité mon intégration au contact des Québécois. »


Pour lire les épisodes précédents : Kateryna Semybratova / Tatianna Castillo

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